vendredi 4 octobre 2019

1 million de vues





YouTube est devenu une bête monstrueuse, qui grossit chaque jour. Savez-vous que le numérique dans son ensemble est désormais responsable de 4% des émissions de CO2 à la surface de la planète, un volume supérieur aux émissions du transport civil aérien et équivalent à ce qu’émet un pays comme l’Espagne. Y pensez-vous quand vous regardez une vidéo de chaton ?

Mais il semble qu’il soit devenu essentiel de voir et surtout d’être vu et qu’on puisse même faire fortune à simplement s’exhiber, comme ce petit garçon américain qui passe sa vie à déballer des cadeaux devant une webcam qui déverse ses images directement dans YouTube.

C’est cette nouvelle économie du regard et du spectacle que Jeremy Behm a choisi d’explorer avec son dernier roman intitulé 1 million de vues. Jade, Connor, Dan, Axl et Nathan, soit une fille pour quatre garçons, sont tous des YouTubeurs débutants, avec quelques milliers d’abonnés. Lorsque Cameron Eon les convoquent au 50e étage d’une tour en plein centre de Los Angeles et leur fait miroiter la perspective d’un salaire mirobolant pour leur âge, une machine infernale se met en marche pour les cinq adolescents. Car un seul d’entre eux va l’emporter, à l’issue d’une compétition où tous les coups seront permis. Leur seul objectif va être de poster les vidéos qui comptabiliseront le plus de vues. En bon français, de faire un « max de buzz ».

Les cinq ont des atouts bien différents dans leur jeu. Qui sera « l’influenceur » de demain ?

Jeremy Behm dresse le portrait d’adolescents américains plongés dans une rivalité artificielle. Chacun a sa façon de la vivre, fair-play ou sadique, naïve ou violente, artistique ou trash, qui donne aussi le ton à leurs créativités respectives et à leurs mises en scène d’eux-mêmes. Ils n’ont guère le choix pour gagner : ils doivent se mettre eux-mêmes en danger pour provoquer l’admiration de leurs supporters ou chercher à écraser l’autre pour susciter l’effroi et la stupeur. La course à l’audience peut être une course mortelle : l’auteur ouvre d’ailleurs son livre par une séquence haletante, qui, comme dans un film de James Bond, nous avertit de ce qui pourrait être l’issue fatale pour l’un ou l’autre des concurrents.

Ce thriller au pays des geeks se lit d’une traite, comme un conte d’avertissement moderne. L’écran est-il devenu pour les jeunes – et les moins jeunes - l’unique fenêtre qu’il soit possible d’ouvrir pour respirer ? Ou la vraie vie peut-elle encore l’emporter sur les compromissions et les manipulations qui régissent le monde virtuel ? La réponse est, au bout du roman de Jeremy Behm, dans la tête de chaque lecteur et lectrice.

Écouter cette chronique (extrait lu à 3:22) :

1 million de vues – Jeremy Behm – Syros - 2019 (494 pages, 17,95 €) 

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