vendredi 28 février 2020
PLS
Angie et Sacha, des jumeaux, grands et maigres. Fille et garçon. Beaux. Fruits déguisés de l’adolescence, sucrés-amers, jamais assez de sucre pour emporter l’amer. Sacha, Angie l’appelle « mon rein », la moitié d’elle peut-être, les surnoms ont l’évidence du mystère. C’est Halloween, les parents ont laissé gentiment leur pavillon pour que les jeunes le mettent à sac le temps d’une nuit et d’un petit matin, « on sera de retour demain à 15 h » ont-ils prévenus. Que tout soit propre et rangé.
En attendant le jour d’après, c’est déjà alcools et musiques à gogo. La fête. Très vite l’ivresse et le son qui montent, la sueur, les corps dans cette liesse obligée qui les jette les uns sur les autres, la danse et la transe, attirances, répulsions, je te regarde, tu-me-regardes-te-regardant, défis trop vite grandis, gestes ébauchés, oubliés, ressurgis. Les mots, vite inutiles, s’étouffent dans le bruit.
Sacha semble perdu. Heureusement, Angie le suit comme son ombre, le retient, l’encourage, même de loin. Même d’une pièce à l’autre, Sacha entend sa voix qui traverse les murs. Sacha se fait draguer, s’enivre, vomit, s’effondre, se relève. Elle ? Oui, elle s’appelle Elle, penser à elle, c’est penser deux fois elle, Elle. Elle, peut-être comme le magazine ELLE ? Heureusement, les parents de Sacha ne l’ont pas appelé LUI. Elle, c’est figue. Drôle de parfum, juste entêtant, trace obstinée d’un corps parmi tous les autres, sillage à pister qui se donne en se dérobant.
Il y a longtemps, des siècles peut-être, Elle a consolé Sacha, ivre de mort. Peut-être l’a-t-elle-même sauvé, ce soir-là, en le déposant sur son lit, en PLS, cette position latérale de sécurité chère aux secouristes, en se glissant doucement dans son dos, doigts mêlés aux siens posés sur son ventre. C’est ainsi qu’Elle avait voulu le mettre au creux d’elle. Avec le souffle d’Elle dans son cou, Sacha s’était endormi jusqu’au matin comme un bébé.
Cette nuit, c’est autre chose. Elle a disparu brutalement. Angie lui dit de la chercher. Sacha obéit, scanne la piste de danse, les corps que le mouvement emmêle, explore les chambres. Jusqu’à la trouver, enfin. Elle, dans la chambre d’Angie. « Bye bye, mon rein », maudite ardoise.
Plus fort, plus fort, Joanne Richoux explore admirablement, le temps d’une soirée, les désirs, les désordres et l’insoutenable pudeur des adolescents noyée dans le verlan. Au fil des heures, tout bat plus vite dans les cœurs et dans les têtes renversées par la musique, l’alcool et la fumée, comme si le temps était compté, comme si la vie ne pouvait plus attendre. Guidés par Sacha et son secret, lecteurs invisibles de ce petit monde lové dans les parenthèses d’une nuit, un peu voyeurs parfois, nous retenons notre souffle et tendons l’oreille pour saisir au vol ces bribes de désespoir et de bonheur dont l’autrice nous fait effleurer les mécanismes frénétiques et délicats.
Écouter cette chronique (extraits lu à 3:00) :
PLS – Joanne Richoux – Actes Sud junior – 2020 (96 pages, 13 €)
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