vendredi 10 avril 2020

La mémoire des Couleurs



Pour une fois, je ne vais pas vous parler d’un livre juste sorti. La mémoire des couleurs, de Stéphane Michaka a été publié en 2018. Mais dans le climat un peu étrange créé par notre confinement (inter)national actuel, j’ai pensé que cette dystopie ne déparerait pas notre représentation du monde. D’ailleurs, arrivant à la dernière page l’autre matin, j’ai dû me pincer pour savoir si oui ou non j’avais réintégré ce qu’on nomme, sans pouvoir toujours en être sûr, la réalité. Le monde confiné qui resurgissait, ayant fermé mon livre, n’était-il pas aussi insolite que celui que je venais de quitter ?

C’est que l’auteur a choisi de nous balader lui aussi entre deux mondes, le nôtre ou du moins quelque chose qui lui ressemble, en mode banlieue grise généralisée et un autre, baptisé Circé, d’où un certain nombre d’individus sont régulièrement éjectés, en guise de punition apparemment. C’est du moins ce qu’on commencera à comprendre en faisant plus ample connaissance avec Mauve, un garçon d’une quinzaine d’années qui se réveille dans une brocante, ne sachant dans un premier temps ni qui il est ni d’où il vient. Il tombe heureusement sur des gens plutôt bienveillants et patients, qui ne s’étonnent pas outre mesure de son état psychique. Anna a déjà recueilli deux « couleurs », Rouge et Gris qui ont disparu dans la nature sans qu’elle sache ce qu’ils sont devenus. On l'apprendra plus tard. Et André, un ancien, épris de jazz, va révéler Mauve à lui-même en découvrant notamment ses étonnantes capacités de lecteur. Un Mauve qui ne sait déjà pas trop quoi faire de ses dons de télépathe, qui l'informent en permanence de ce que les gens pensent, en sus de ce qu'ils disent.

Le monde d’où vient Mauve se nomme Circé. Une succession de rêves va lui en faire recouvrer progressivement la mémoire. C’est une société parfaite, gouvernée par l’Oracle, une intelligence artificielle. Tous les êtres, étroitement surveillés, y portent un nom de couleur, couleur qui est aussi celle de leur peau. Ce qui n’est pas le cas de Mauve, anomalie qui a peut-être conduit à son rejet : Circé n’aime pas les anomalies… Dans cette société de Couleurs, aimer, c’est déteindre – littéralement – et devenir une nuance de l’autre. Cette particularité, pour délicate qu’elle soit, ne peut masquer que Circé est un univers parfaitement étouffant. Mauve y incarne une rébellion adolescente naissante, que vont nourrir son passage sur Terre et les rencontres qu’il y fait, jusqu’à rejoindre un groupe de Couleurs résistant qui s’organise pour éviter à notre planète de subir à son tour  le joug de l’Oracle et le sort de Circé. Mauve est-il vraiment appelé à jouer un rôle décisif dans cette Résistance ? Ses compétences exceptionnelles de programmeur vont-elles l'y aider ? L’enjeu de son itinéraire et donc du roman se dessine peu à peu. 

Stéphane Michaka n’a pas eu à trop grossir le trait pour faire de Circé une description de ce qui attend notre humanité, au sein de laquelle l’intelligence artificielle prend peu à peu le pouvoir, plus vite sans doute que la conscience que nous pouvons en avoir. La mémoire des couleurs, roman d’initiation pour la jeunesse, s’inscrit dans une longue lignée d’ouvrages de science-fiction décrivant un futur dont notre présent est désormais tout proche. C'est donc aussi un conte d'avertissement. Voici ce qui nous attend, nous avertit l'auteur, si nous (nous) laissons faire, si nous n'entrons pas en résistance.

La mémoire des couleurs – Stéphane Michaka – PKJ – 2018 (425 pages, 17,90 €)

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