vendredi 5 mars 2021

Le journal de Raymond le démon

 


Si l’anglais C.S. Lewis est connu pour Le monde de Narnia, ce royaume merveilleux qui attend sa délivrance pendant quelques tomes, il est aussi l’auteur à succès d’un malicieux ouvrage épistolaire beaucoup plus court, The Screwtapes Letters, traduit en français sous le titre Tactique du Diable, dans lequel un vieux tentateur expérimenté, Screwtape, essaie de transmettre son expérience à un démon néophyte, nommé Wormwood, chargé de saboter la foi d’un jeune chrétien.

Avec Le journal de Raymond le démon, Luc Blanvillain s’est lancé dans une entreprise littéraire un peu similaire, mais à l’usage de la jeunesse, imaginant un démon pour enfants qui voudrait bien monter en grade. Un peu comme l’ange, dans le film de Capra, La vie est belle, mais de l’autre côté. Car il voudrait pouvoir s’occuper un jour des adultes, c’est plus sérieux. D’accord, lui dit son chef, vous aurez une promotion mais à une condition : faire quitter le droit chemin à une collégienne, Anne-Fleur Berzingue, qui, de toute sa jeune vie d’humaine n’a jamais commis la moindre méchanceté.

Les premières tentatives du démon échouant lamentablement, son chef décide de passer à la vitesse supérieure : l’incarnation. Ainsi naît Raymond le démon, qui va débarquer au collège d’Anne-Fleur sous les apparences d’un orphelin placé dans une famille d’accueil où végète Brian, le fils de la maison, accro aux jeux vidéo et phobique scolaire. C’est donc le journal de bord de Raymond, le collégien tentateur, que le lecteur, parfois interpellé directement par son narrateur, tient entre les mains.

Raymond multiplie les tentatives pour faire « tomber » Anne-Fleur, se servant notamment d’une de ses rivales, la belle et insupportable Bérénice, qui a un secret honteux bien caché. Luc Blanvillain brosse un portrait savoureux de la vie adolescente contemporaine, de ses élans généreux comme de ses ornières pathétiques. Sans rien révéler des différentes péripéties que vont provoquer les tactiques successives de Raymond, on peut dire qu’elles vont toutes échouer et même pire – pour la promotion de Raymond en tout cas : car elles vont aboutir le plus souvent à l’inverse du but recherché. Brian pourrait bien finir par se rescolariser et Anne-Fleur « tomber » effectivement, mais tomber… amoureuse. Au point de faire éprouver au démon à peau d’ado un chatouillement inconnu de lui, assez proche d’un sentiment humain : la jalousie.

Mine de rien, chemin faisant, Luc Blanvillain explore assez systématiquement la question fort sérieuse qui est posée en sous-titre de son livre : « où est le Mal ? ». Il le fait certes de façon hautement comique et entièrement sécularisée, au contraire de Lewis chez qui la dimension religieuse est omniprésente. Que ce sous-titre ait été numéroté annonce une suite que l’on se réjouit d’avance de découvrir. Car vous imaginez bien que Raymond le démon, d’échec en échec, est loin d’avoir fait le tour de la question et de ses réponses. Et nous aussi. On attend maintenant de savoir "où est le Bien"...

Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:02) :



Le journal de Raymond le démon – Luc Blanvillain – illustré par Sarah Vignon - 2021 – l’école des loisirs (239 pages, 12 €)

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