Voilà, j'ai commencé ce livre hier soir, j'ai éteint ma lampe à regret pour dormir et je l'ai terminé ce matin. Avait-il bercé ma courte nuit ? Je ne sais, mais il m'a cueilli au réveil et ne m'a pas lâché. Et je m'aperçois, oh, scandale que depuis toutes ces années, je ne vous avais jamais présenté un seul ouvrage de Jean-Claude Mourlevat, l'un des auteurs jeunesse français les plus célèbres, justement couronné en 2021 du prix international Astrid Lindgren. Il a dernièrement inauguré chez Gallimard une série, Jefferson, qui met en scène un hérisson détective. Mais vous avez sûrement entendu parler de ses premiers romans, à la fin des années 90 : La balafre, L'enfant Océan, La rivière à l'envers, etc.
Mes amis devenus, c'est le titre que je viens de lire de lui, n'est pas précisément un livre paru dans une collection pour la jeunesse mais je crois qu'il peut plaire à n'importe quel adolescent qui se retrouvera dans ce « Club de Cinq » pour grands.
Quand le roman commence, Silvère vient à Ouessant ouvrir une maison qu'il a louée pour quelques jours. A l'instigation de Jean, un ami de collège que Silvère n'a jamais perdu de vue car il a toujours été comme un frère pour lui, cinq amis, trois garçons et deux filles, je devrais dire trois hommes et deux femmes, sont tombés d'accord pour se retrouver et passer cinq jours ensemble sur l'île, quarante ans après s'être quittés. Ils sont convenus de venir seuls, sans leurs attaches actuelles éventuelles, maris femmes ou enfants, provisoirement mises hors jeu pour la durée du séjour.
A 17 h, Silvère est donc arrivé au port en bicyclette et il guette l'arrivée du ferry qui lui amène Jean, Lours', Luce et Mara. Il les attend le cœur battant, battu par le passé qui lui revient par vagues, se demandant s'il les reconnaîtra, s'ils le reconnaîtront. C'est dans cette attente que Silvère, le narrateur, glisse le récit de son enfance et de son adolescence bientôt mêlé à celles des quatre ami·es qui vont le rejoindre. Commence une longue analepse qui arpente les territoires puissants de la famille, de l'amitié et des premières amours.
Mes amis devenus est un authentique roman d'apprentissage. Silvère, qui raconte, en est le personnage central, brûlé intérieurement à la pensée qu'il va revoir Mara, son amour d'adolescence, le premier, le seul peut-être, « passion immédiate et dévorante », qui lui a échappé. C'est cette corde tendue de Silvère à Mara qui vibre tout au long du roman, résonance du passé dans le présent de ces retrouvailles. Qu'est-ce qui reste du bonheur des premiers commencements, des galères, des fous-rires, des trahisons aussi, que le temps a repeints des couleurs chaudes et dégradées de l'automne, en ce début d'octobre.
Chacune des journées passées va avoir sa tonalité au fil des relectures et révélations que chacun va faire de sa vie ultérieure à l'aune de ses débuts, revisités.
C'est un roman qui pourrait céder à la nostalgie, à l'amertume de la complainte Pauvre Rutebeuf interprétée jadis par Léo Ferré, à laquelle Jean-Claude Mourlevat a emprunté son titre. « Que sont mes amis devenus/que j'avais de si près tenus/Et tant aimés ? ♫». Si ces sentiments peuvent effleurer le lecteur d'un certain âge – j'emploie volontairement cet euphémisme - touchant en lui des zones sensibles de son passé, nul doute que ce livre fournira aux plus jeunes des repères pour situer ce qu'ils éprouvent et expérimentent aujourd'hui en l'inscrivant dans un horizon temporel élargi.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:00) :
Mes amis devenus – Jean-Claude Mourlevat – 2016 - Fleuve éditions (218 pages, 17,90 €)
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