Où passe la frontière entre la littérature pour la jeunesse
et la littérature pour les « grands », dite générale ? Ni les
éditeurs ni les auteurs et encore moins les prescripteurs ne sont d’accord sur
son tracé. Sans doute est-elle mouvante et chaque nouveau livre la redessine à
sa façon. On invente parfois de nouvelles classifications pour la déplacer :
les anglo-saxons ont ainsi créé la catégorie « young adult » pour essayer
de surmonter leur puritanisme qui, joint à leur protectionnisme culturel, leur
interdit de traduire en anglais bon nombre de romans français d’aujourd’hui.
« Jeune adulte », c’est sans doute plus valorisant pour le lecteur que
« vieil ado » ! En 2004, un colloque s’était tenu à Cerisy sur
cette question des limites. Il s’intitulait : « Littérature de
jeunesse, incertaines frontières ». Une chose reste sûre : les livres
pour la jeunesse se reconnaissent partout au fait qu’ils peuvent être lus par
tout le monde et donc partagés entre toutes les générations.
C’est une autre certitude littéraire que nous fait partager
l’école des loisirs en publiant ces jours-ci le nouveau livre de Sophie Chérer,
intitulé Renommer. Au commencement de
toute forme de littérature sont les mots, mais si l’on ne veut pas se payer de
mots, justement, il faut sans doute se demander comment les mots eux-mêmes ont
commencé, remonter à leurs premiers balbutiements, lorsqu’ils n’étaient encore
que des racines qui se promenaient, indécises, entre les langues, hésitant à se fixer dans
l’une ou l’autre. Juste avant Babel. C’est à quoi s’emploie notre auteure,
accompagnée par les illustrations décalées et joliment ironiques de Philippe
Dumas.
Sophie Chérer introduit sa promenade dans le trésor des mots en évoquant une rencontre avec des élèves de 6ème.
Interrogée par l’un d’eux sur ce qu’elle était en train d’écrire, elle s’est
mise à leur parler d’étymologie et de la fabrique des mots. C’est sans doute
l’écoute passionnée qu’elle a suscitée qui l’a convaincue qu’elle était en
train d’écrire un livre pour la jeunesse, aussi nécessaire qu’une quelconque
fiction et qui fera aussi, n’en doutons pas, le régal des professeurs de
français.
Sophie Chérer fait bien plus que nous promener dans une sorte
de dictionnaire personnel. Qu’elle évoque l’économie, la nature ou la société,
ses convictions sociales, sa foi même, surgissent au détour des mots qu’elle
tourne et retourne comme un jardinier bêche la terre : crise, pollution,
laïcité, religion, pour ne donner que quelques exemples, retrouvent les
couleurs d’une révolte nécessaire face à toutes les langues de bois qui ont
laissé pâlir leur sens. A retrouver ainsi la saveur de mots, les pays d’où ils
viennent, peut-être allons nous mieux les accueillir et entendre ce qu’ils ont
à nous dire, non seulement du passé, mais aussi de notre avenir.
Renommer - Sophie Chérer (illustrations de Philippe Dumas) - l'école des loisirs (278 pages, 16,50 €)
En podcast sur RCF Loiret (écoutez un extrait du livre à 2:40) :
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