Comment
échapper au regard décidé de cette petite fille qui se plante dans le
vôtre ? Puisque c’est ça, je pars,
le dernier album d’Yvan Pommaux, vous happe dès sa couverture. Et dès la
première page, nous savons que nous allons suivre Norma et son singe Jojo, où
qu’ils nous entraînent.
Jojo est
présentement en mauvaise posture. Enterré jusqu’au cou dans un bac à sable par
des bandits cruels, il passe un fichu quart d’heure, alors que des milliers de
fourmis rouge s’apprêtent à le déchiqueter.
Assise sur
son banc, maman appelle Norma : « On s’en va, secoue ton Jojo »
mais Norma n’entend pas maman. Elle continue à jouer, surtout quand le portable
de sa mère se met à coasser, signal d’une longue conversation qui va absorber
l’élégante jeune femme, toute de blanc vêtue sous un élégant chapeau de paille.
Au point que
maman ne voit plus Norma qui s’est plantée devant elle et attend la
confirmation d’un autre signal, celui, annoncé, du départ. Or, celui-là ne
viendra plus. Le correspondant au téléphone semble désormais beaucoup plus
important que Norma. « Tu vois bien
que je téléphone ! » lance la mère, agacée, à sa fille qui insiste.
Tout est dit. Vexée de compter moins qu’un portable, Norma décide de quitter sa
maman, « loin… et pour toujours ! ».
Dès lors, le
jardin quotidien se fait jardin extraordinaire. Chaque détail prend vie, change
de proportion. Les statues s’animent, une lionne de pierre se transforme en
panthère, les fleurs deviennent des géantes multicolores. Au détour d’une
allée, Norma a croisé Félix, aussi délaissé qu’elle par sa mère, et l’a
entraîné à sa suite dans les allées du parc.
Les deux
enfants des villes sont maintenant dans la jungle, sous la menace de créatures
fantastiques auxquelles ils n’échappent que de justesse, guidés par Bidule la
libellule. Dans leur course éperdue, Norma perd Jojo. Cette perte va la ramener
brutalement sur Terre. Les sortilèges se défont. Les aventuriers ne sont plus
que deux enfants égarés. Vont-ils retrouver leur mère ?
Valeur sûre du
monde des illustrateurs, Yvan Pommaux est resté contre vents et marées fidèle à
la ligne claire de ses débuts et à Nicole son épouse et coloriste préférée.
Leur tandem fait encore merveille dans cet album qui n’est pas une simple
succession de tableaux, aussi somptueux fussent-ils. Les albums d’Yvan Pommaux
racontent aussi une histoire et ce n’est pas leur moindre mérite que d’éviter
les « et puis » et les « et alors » de bien des productions
contemporaines pour les plus jeunes, qui enfilent souvent les images comme des
perles.
Jouant sur
deux motifs fondamentaux de l’enfance, celui de la fugue et celui de la peur de
l’abandon, Pommaux alterne les pleines pages, parfois doubles, avec les cases
de BD, ou les dessins hors cadre. Sa mise en scène s’en trouve rythmée, tantôt
nerveuse, tantôt contemplative. En lisant cet album à un enfant, même tout
petit, on prendra plaisir à retrouver avec lui tel ou tel détail du décor
transfiguré d’une page à l’autre. Un plaisir inépuisable. Et n’oubliez pas de
rallumer votre portable après la lecture…
Puisque c’est ça, je pars - Yvan (et Nicole) Pommaux - l’école des loisirs (44 pages, 14,80 €)
En podcast sur RCF Loiret :
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