Rue de Sèvres est la filiale bande dessinée de l'école des loisirs, voulue dès 2013 par son nouveau directeur Louis Delas, venu de Casterman. Les illustrateurs et illustratrices sont invités dès lors à puiser dans le riche patrimoine littéraire de la maison mère pour réaliser des adaptations des romans les plus aptes à passer dans l’univers de la BD. Un exemple récent de ce passage : Le fils de l’Ursari, paru en 2016, roman multiprimé de Xavier-Laurent Petit, vient d’être scénarisé, dessiné et mis en couleurs par Cyrille Pomès et Isabelle Merlet.
Ce roman raconte la vie quotidienne d’une famille de Roms montreurs d’ours – d’où le titre, « l’Ursari » étant ici le père de famille – qui doit quitter la Roumanie, à la fois chassée et tombée sous l’emprise de bandits qui vont exploiter sa misère en la faisant passer clandestinement en France et en exigeant d’elle qu’elle rembourse une dette aussi inventée que colossale.
Les vingt premières pages racontent la vie d’avant, du temps de la caravane mal chauffée où s’entassent les Zidar, vie précaire mais heureuse, l’Ursari et son ours Gaman faisant encore recette dans les villages qu’ils traversent. Puis tout se défait. La voiture tombe en panne en plein hiver. Des villageois hostiles veulent les chasser et brûlent leur véhicule. C’est alors que surviennent les bandits qui vont les faire passer en France et les placer sous leur coupe.
Le mirage de la France, de Paris, qui allume déjà le regard de Vera, la fille de l’Ursari, va s’effacer brutalement quand la famille Zidar va être déversée dans un bidonville coincé entre deux autoroutes.
La suite conte les tribulations de cette famille et son étonnante résilience. Pressurée par des hommes de mains qui se rappellent régulièrement à elle, elle est contrainte de se livrer à toutes sortes de trafics plus ou moins délictueux. Vera, la grande sœur, loue un bébé à la journée pour mendier dans le métro de façon plus convaincante. Ciprian, le plus jeune de la fratrie, formé par Demitriu son frère aîné, devient voleur à la tire dans le Paris des touristes. Mais il va trouver son salut au jardin du Luxembourg quand il se met à observer des joueurs d’échec, qui remarquent ses étonnantes capacités. Sans rien connaître aux règles du jeu, le jeune analphabète mémorise toutes les parties qu’il voit jouer. Des personnes bienveillantes, des militants aussi, vont s’intéresser à lui et à sa famille, dans un monde qui, pour être plus civilisé, ne leur est guère moins hostile que celui d’où ils viennent. L’album raconte les luttes et les combats des uns et des autres pour dégager la famille Zidar des griffes des bandits et pour permettre Ciprian d’apprendre à lire et de devenir, peut-être, un grand champion d’échecs qui tirera sa famille de la misère.
La force du dessin et de la couleur font de cet album un véritable chef d’œuvre expressionniste, tantôt sombre tantôt lumineux. Ouvrage militant sans être manichéen, Le fils de l’Ursari porte un regard empathique et lucide, sans misérabilisme, sur la vie de ces Roms qui semblent être condamnés à une errance sans fin.
Le fils de l’Ursari – Xavier-Laurent Petit, BD dessinée par Cyrille Pomès, couleurs d’Isabelle Merlet – Rue de Sèvres – 2019 (130 pages, 16,00 €)
PS : Dans son deuxième numéro (n° 2 – 2019-2020) la revue L’école des lettres consacre un long article au Fils de l’Ursari.
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