vendredi 29 mai 2020

Autobiographie d'une licorne



Un roman arc-en-ciel

« J’ai seize ans, je m’appelle Carmen et j’ai le physique qui correspond à mon prénom : petite, brune, typée ». Au début de son autobiographie, Carmen nous invite à franchir deux seuils : « Si je vous dis que je suis lesbienne, vous restez ? » Puis : « Mais si je précise qu’en fait je suis bi, vous restez toujours ? » Comme si elle voulait conclure un pacte avec son lecteur ou sa lectrice : « Toi qui entres dans ce livre, laisse à la porte tous tes préjugés ». Sinon, dégage ! La « licorne » pose ses conditions.

Quand son récit commence, elle vit au pied des Pyrénées, à Ax, où elle a été élevée par ses grands-parents Mami et Papi. Son père aussi est présent, car Papi vient de mourir. Pour la deuxième fois dans sa courte vie, Carmen est orpheline : elle avait six mois quand sa mère est morte. Si la disparition de Papi crée un vide immense dans la grande maison, son testament est un véritable séisme qui blesse Mami au cœur et bouleverse sa petite-fille, entre colère et chagrin. Le père de Carmen est reparti en Italie. Les deux femmes vont devoir faire face toutes les deux à l’urgence du présent : un deuil intime doublé d’une trahison publique, aggravés d’une précarité totalement imprévue.

Sur ce fond de déroute domestique, Carmen nous entraîne dans sa vie de lycéenne, rythmée par les trajets en autocar matin et soir entre Ax et Foix, avec ses deux meilleurs amis, Nicolas et Maguelonne, qui soutiennent son moral et sa scolarité : dans le trio, c’est elle le cancre. Le fait que Papi soit brusquement descendu de son piédestal n’arrange pas les choses. Et puis en cours, Carmen l’ado est distraite, n'écoute plus les profs, les hormones en ébullition : elle pense à ce baiser volé à Ariel, ce jeune policier de 25 ans, qui, troublé, l'a laissée repartir en voiture dans la nuit, sans permis... Elle pense surtout à Charlotte puis à Marion. Comment dit-on « je t’aime » à une fille, comment, surtout, peut-on s’assurer un minimum qu’on ne va pas se prendre un « râteau » ? Bref, pour Carmen,  l’amour est la grande affaire du moment mais dans une petite ville comme Ax ou même Foix, pas question de marcher en tenant la main d’une fille ou de l’embrasser sur la bouche en public. Les hétéros n’ont pas de problèmes, eux. Du moins de ce genre.

Aussi, comment sortir du placard, comme disent les Québécois, dans un endroit où tout le monde se connaît, s'épie ? Carmen n’a rien dit à ses deux ami·es d’enfance. A fortiori rien non plus à Mami. Un jour, elle ose pousser la porte d’une permanence LGBTQ+, premier pas vers l’affirmation d’une orientation sexuelle qu’elle pressent, sans être sûre d’elle encore. Les choses vont cheminer, d’initiatives en malentendus, de rencontres en ruptures.

Maïté Bernard se laisse guider par sa jeune héroïne dans les méandres d’une lente initiation à la passion et à l'identité amoureuses. Carmen tour à tour s’embrase et recule, s’élance et s’enfuit et le portrait que l’autrice en trace est tantôt agaçant tantôt émouvant. C’est que Carmen se cherche sous nos yeux, tâtonne, s’empêtre dans ses audaces et ses mensonges, en paye le prix, pour s’affirmer peu à peu. Elle a des modèles, lointains comme Kristen Stewart, « bi, comme moi », ou proches comme Marion. De l'actrice, elle dit : « j'aime qu'elle aime les femmes mais sans avoir l'air de le revendiquer, comme si nous étions déjà passés dans un monde où ça n'a aucun intérêt. » Au risque que ce monde soit sans intérêt aucun ? 

Dans ce roman d’apprentissage, Maïté Bernard a multiplié les situations et les personnages, sans en faire pour autant un catalogue arc-en-ciel. Ses lectrices et lecteurs de tous bords s’y reconnaîtront eux-mêmes, ou tel·le ou tel·le de leur ami·e. Ils y trouveront peut-être un havre temporaire. Et toute licorne y découvrira cent raisons d’espérer et d’entreprendre, de persévérer et de réussir. En amours de toutes les couleurs. 

Écouter cette chronique (extrait lu à 03:35) :



Autobiographie d’une licorne – Maïté Bernard – Syros – 11 juin 2020 (423 pages, 17,95 €)

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