vendredi 22 mai 2020

Reality Girl



La Toile hébergerait aujourd’hui près d’un milliard de blogs alors que le plus ancien n’aurait guère plus de 25 ans. C’est dire à quelle formidable expansion on a assisté. Le terme de blog recouvre évidemment une grande variété de contenus. 

Pour beaucoup d’adolescent•es, « tenir un blog » est devenu une façon d’écrire son journal intime à ciel ouvert en soumettant à l’évaluation publique son identité et son ego, diversement travestis pour les besoins paradoxaux d’une reconnaissance anonyme aussi impérieuse qu’hypothétique. Finis les petits carnets cadenassés décorés d’une licorne : on tient son blog sous un pseudo (ou un nom de guerre) qui abrite avant tout de la curiosité parentale tout en s’offrant à celle du monde entier. Comment, sauf dénonciation sournoise, père et mère retrouveraient-ils leur progéniture dans cet océan sans rivages ni repères ?

Avec Reality Girl, Lorris Murail a décidé de peindre à sa façon ce monde des blogueuses en se mettant dans la tête d’une fille, comme il aime à le faire depuis longtemps. Aurore, 14 ans et 3 mois, se présente en orpheline, du moins en voie d’orphelinisation. En fait, on comprend vite que ses parents sont, plus classiquement, en voie de séparation. En conséquence de quoi, Aurore a décidé de changer de collège et de se confiner  chez sa grand-mère paternelle, dénommée Marianne mais qu’elle appelle COUPON depuis toute petite. Pourquoi ? Parce qu'elle l’a toujours vue collectionner les offres, les bons de réductions, les promotions ; pire, elle gagne SOUVENT : le pavillon crépi de COUPON s’apparente donc à une sorte de brocante, sauf que tous les bidules qu’elle recèle sont NEUFS.

J’aurais tout aussi pu bien dire que notre auteur a choisi de se payer la tête des toutes les émissions de téléréalité qui ont envahi le PAF, juste après les séries policières. Car si Aurore est réfugiée chez COUPON, elle va aussi devoir supporter le spectacle bi-hebdomadaire de ses parents engagés respectivement dans DES PRÉTENDANTS POUR MAMAN (Corinne alias maman) et L’AMOUR VENU DU FROID (Alex alias papounet). Et si jamais COUPON s'y mettait elle aussi ?! La plume satirique de Murail fait mouche à tout coup.

Si vous ajoutez à ça qu’Aurore, ayant choisi comme emblème de son blog un papillon monarque - Danaus Plexippus pour les spécialistes - va entrer en contact avec un lépidoptériste australien qui occupera progressivement ses pensées les plus secrètes, vous aurez un bon aperçu du livre que vous allez vous empresser de lire. Mention spéciale au lien qu'Aurore parvient à tisser avec Jamila et son hijab. Jamila est la précieuse « élève quota au titre de la diversité » dans le collège catholique Sainte-Jeanne-d'Arc-au-Bûcher, ce qui lui vaut... une scolarité gratuite. Aurore va découvrir que, sous ses voiles, Jamila est une fille canon...


Aurore, en bonne adolescente est évidemment complexée (par son nez qu’elle juge trop long) et les coms tardent à se lâcher sur son blog, que son Australien est peut-être seul à lire... Du coup, elle écrit elle-même les commentaires. Mais son humour aussi désespéré qu’impitoyable nous emporte dans une comédie tendre et acide, rythmée par les efforts pathétiques de ses parents pour se recaser. On sourit ou on rit franchement à chaque page, Aurore alias Reality Girl ne laissant guère en repos les supposés lecteurs de son blog que nous sommes, au final.


Reality Girl - Lorris Murail - L'Archipel - 2010 (274 pages, 13,50 €)

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