vendredi 8 mai 2020

L'île



Aujourd’hui, je veux vous parler d’un livre qui n’existe pas mais que son auteur a terminé hier, 7 mai 2020, remerciements inclus, et que j'ai lu. Vincent Villeminot, dont je vous ai présenté naguère Nous sommes l'étincelle, s’est lancé au début de cette période, qui restera sans doute dans l’histoire de France comme celle du « Grand Confinement », dans l’écriture d’un roman dont il avait jeté les bases l'an passé lors d’une résidence d’auteur à l’île d’Aix. Pour ceux qui ne connaîtraient pas la Charente-Maritime, l’île d’Aix est un petit caillou situé dans le Pertuis d'Antioche, entre l’île d’Oléron et Fouras, où l’on cultive les huîtres, le souvenir de Napoléon et les touristes qui s'intéressent encore à « cet enflé avec son chapeau à la con » (comme disait Zazie).

Notre auteur a surtout décidé de renouer avec la tradition des feuilletonistes. Avec la complicité de son éditeur, il a délivré peu à peu son récit de sa gangue imaginaire, mettant en ligne chaque soir à 18 h pétantes, via Calameo, quelques pages abondamment commentées, analysées, décryptées sur Facebook par un nombre croissant de lecteurs (dont une majorité de lectrices, m'a-t-il semblé) progressivement constitués en fandom. J’avoue que je me suis pris moi aussi au jeu, de la lecture sinon des commentaires, et j’ai attendu chaque soir ma livraison à domicile, lisant en dix minutes ce que l’auteur avait mis huit heures ou plus à écrire. Ça m’a rappelé l’époque où je découvrais avidement chaque soir, en rentrant du travail, un bout de Miss Charity, le roman qu’écrivait ma femme.

Hors saison, il n’y a qu’une petite centaine d’habitants sur l’île qui est desservie par un bac, comme l’étaient autrefois Ré et Oléron avant qu’on ne bâtisse un pont les reliant au continent. Sa petite taille a valu à Aix de rester une île. Les insulaires ressemblent peu ou prou à des gens qui se seraient confinés plus ou moins volontairement... 

Or, un beau jour, ou plutôt un mauvais jour, de mystérieux et inquiétants événements, visibles de l’île, se produisent sur le continent. Fumées noires, flammes immenses la nuit, La Rochelle et toute la côte s’embrasent, plus aucune liaison téléphonique ou radio ne fonctionnent. Sans nouvelles, les Aixois·es en sont réduit·es à formuler les hypothèses les plus épouvantables : explosion nucléaire, guerre civile, épidémie foudroyante, folie collective... Certains, plus inquiets, ont des proches à La Rochelle, enfants, frères, sœurs, qui ne répondent plus. Sachant qu'elle ne peut compter dans l’immédiat que sur ses propres ressources, l’île s’organise et se met en position d’autarcie défensive.

Une petite bande d’ados, amis, frères et sœurs, d'abord insouciante, feignant de croire à un nouveau jeu, commence à gamberger. Il y a évidemment, tant parmi eux que parmi les adultes,  des passifs qui ressurgissent, des rivalités, des jalousies, qui pèseront sur le cours des événements, de plus en plus dramatiques au fil des quatre mois raconté par un des jeunes, Jolan dit « Poléon ». Dans l’épreuve, les caractères se dévoilent, s’affermissent, de façon parfois inattendue. Les amitiés et amours se nouent et se dénouent.  Au fil du temps, une hypothèse effrayante prend corps et circule dans la petite communauté : une maladie très contagieuse, une sorte de rage baptisée Amok aurait contaminé l'ensemble de la population française qui se serait entre-tuée.  Les Aixois décident en conséquence de dresser un cordon sanitaire, gardé jour et nuit : nul n’entrera dans l’île jusqu’à nouvel ordre. Pourtant des jeunes de l’île qu’on croyait morts tout en les espérant vivants, parviennent à aborder : mis immédiatement en quarantaine le temps de savoir s’ils sont malades ou non, les choses tournent mal, confirmant les doutes que tout le monde avait, et les hypothèses les plus tragiques. On ne peut en dire plus par peur de « divulgâcher » la suite de ce thriller insulaire.

Vincent Villeminot nous a tenus en haleine jusqu’au bout et retombe sur ses pieds. Chapeau, l’artiste ! Les résonances de cette aventure avec notre situation actuelle de lecteurs confinés n’étaient évidemment pas fortuites… S’il a voulu souligner dans ses remerciements le caractère collectif de son entreprise tout aussi confinée (lire aussi son interview ici),  nul ne doute désormais que c’est le courage de l'auteur et l'appoint du whisky écossais seuls qui nous ont valu d’assister à l’éclosion à ciel ouvert - sombre mais pas désespérant - de cette fiction si proche de la nôtre. 


L’île – Vincent Villeminot – 2020 – éditeur probable : PKJ – quelque 500 pages – prix fixe à fixer...

À noter qu'une version audio, concoctée en famille, double le manuscrit numérique sur Spotifiy.

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