La disparition d’une personne, jeune ou adulte, est toujours un événement particulièrement traumatisant pour l’entourage. Si la maladie mortelle est une épreuve, si la mort accidentelle est un événement brutal, si le suicide plonge l’entourage dans l’incompréhension, les rites de deuil qui accompagnent ces décès les réinscrivent dans un certain ordre des choses, aussi dramatique fût-il, au prix d’un travail que le temps permet de poursuivre. Il n’en va pas de même avec une disparition, surtout si rien ne pouvait la laisser prévoir. Il s’ensuit une somme d’interrogations qui, ne recevant jamais de réponses, s’accumulent et s’enkystent dans un coin du cerveau et lestent jusqu’à la vie même de ceux qui portent alors un deuil impossible. Comme si désormais rien ne pouvait commencer, rien ne pouvait s’achever.
Ce sont des chiffres étonnants mais dont on ne parle presque jamais : en France, on estime que 40000 personnes disparaissent tous les ans. 30000 réapparaissent plus ou moins rapidement. 8 à 10000 ne sont jamais retrouvées dont quelque 800 jeunes. L’autrice Brigitte Giraud, qui a reçu en 2022 le prix Goncourt pour Vivre vite, un ouvrage autobiographique qui revenait, vingt ans après, sur la mort accidentelle de son mari, a fait paraître cette même année à l’école des loisirs un autre livre destiné, lui, à la jeunesse et intitulé Porté disparu.
« Personne n’ose imaginer ce que signifie le mot « disparition ». C’est la pire des choses, ne pas savoir. Cela laisse supposer tant de scénarios. L’esprit ne se calme jamais… » C’est par ces mots que Camille, la première des narratrices à qui Brigitte Giraud confie son récit, exprime ce qu’elle éprouve en arrivant à Nice, en plein mois d’août. Six mois après la disparition de Livio avec qui elle allait préparer le bac et dont elle était amoureuse en secret, elle essaie de retrouver sa trace dans la ville où se trouve la dernière demeure de Magnus Hirschfeld.
Car tout a commencé au mois de février précédent lorsque Livio a fait un exposé sur ce médecin allemand qui avait voulu résister au nazisme et en particulier aux lois réprimant l’homosexualité. Livio a scotché tous ses condisciples en profitant de son topo pour révéler, à 17 ans, sa propre orientation sexuelle. Mais les réactions violentes de deux élèves vont semer le désordre au lycée, dans l'esprit des parents et des enseignants, et sur les réseaux sociaux. Livio choisit alors de disparaître.
Brigitte Giraud, dans une construction assez simple, a donné la parole aux principaux protagonistes du drame, à tour de rôle. Camille, l’amie de toujours, Mme Martel la professeure d’histoire, Arthur, qui a mené avec Kenji la cabale contre Livio, la mère et le père de Livio, et jusqu’au dernier témoin, dont on ne révélera pas ici le nom. Mais derrière cette apparente simplicité, il y a une efficace construction romanesque qui fait se répondre ces voix parallèles. Chacune à leur place, elles s’interrogent sur le mystère de cette disparition et surtout sur la part de responsabilité que chacun porte, volontairement ou non. « Porté disparu » : le titre prend alors son sens plein. Et c’est un portrait en creux de Livio qui s’est tissé peu à peu lorsque l’ultime témoignage survient pour parachever le livre.
Pour écouter cette chronique (extrait lu à 03:22) :
Porté disparu – Brigitte Giraud – l’école des loisirs – 2022 (164 pages, 12,00 €)
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