Au détour d’une allée du récent salon de Montreuil, une BD avait happé mon regard. Sur la couverture, une femme aux cheveux gris s’abandonnait tendrement sur l’épaule d’une autre, plus jeune. Toutes deux avaient fermé les yeux pour savourer cet instant – d’au revoir ou de retrouvailles, on ne pouvait le deviner - et il y avait dans l’immobilité de leur embrassement une rare intensité, renforcée par le trait du dessin, à la fois sûr et brouillé, par l’éclat décidé des couleurs et leur harmonie, et au-dessus de tout ça, un titre qui semblait démentir la sérénité de cette scène si simple : « La tempête ».
Mais me direz-vous, comment avais-je pu voir tout cela dans l’abondance d’un salon aux mille tentations dont on sort chaque année un peu hébété, à la vue d’une si riche littérature jeunesse, mais aussi comblé par la certitude d’un bonheur de lectures entrevu comme inépuisable ?
Eh bien, je crois que cela ressemble à ce qu’on nomme, en d’autres circonstances, un coup de foudre, un « love at first sight » comme on dit dans les comédies anglophones. Oui, je savais que j’allais lire cet album, que j’avais à peine pris le temps de feuilleter sur le stand de l’Agrume, sa maison d’édition, et qu’en l’ouvrant, en le découvrant, en le lisant, en le contemplant, une fois, deux fois, trois fois, il m’emporterait définitivement dans son univers familial, coloré, dramatique, dans l’ombre d’une maladie mortelle, et pourtant si vivant.
C’est l’histoire d’une famille, d’une fratrie, deux sœurs aînées, Violette et Colombe et un petit frère, César, qui affrontent la maladie au long cours de la mère. Vingt années d’alertes et de rémissions vécues entre le Maroc et la France, pendant lesquelles se succèdent embellies, traitements, rechutes, allers-retours auquel l’espoir lui-même semble s’être habitué.
Entre le présent qui annonce la couleur d’emblée avec une visite de contrôle chez le cancérologue à Paris et le passé d’une famille qui s’est expatriée au Maroc de bonne heure, quand les enfants étaient encore petits, Violette Vaïsse a multiplié les analepses et au bout de l’album nous avons vu cette famille grandir malgré tout, avec cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
Lorsque les enfants sont jeunes, leur vie marocaine est rythmée par les voyages thérapeutiques de leur mère en France. Devenus grands, ils se sont installés tous les trois en colocation en France, et ce sont eux qui y accueillent leur mère venue du Maroc se faire soigner. Le mari, le papa, n’est jamais loin.
Sortie en 2013 de Saint-Luc, la célèbre école supérieure des arts de Bruxelles, Violette Vaïsse a éclos, éditorialement parlant, en 2022, année au cours de laquelle elle a fait publier cinq livres. Sa technique mêle le dessin à la main, sur papier, avec ce trait qui fait trembler les contours et la palette graphique qui lui permet de chercher longuement les couleurs et d’obtenir les beaux aplats et les harmonies souhaitées.
Si sa BD s’appelle La tempête, c’est en hommage à une lecture d’enfance homonyme de l’autrice-illustratrice : La tempête, de Florence Seyvos illustrée par Claude Ponti. Une belle et longue citation graphique de Ponti la conclut d’ailleurs, laissant toute la famille sur l’image d’un bateau, une sorte d’arche qui lui a permis de survivre et de prolonger encore le voyage indécis qu’est toute vie. Mais que pourrait-il nous arriver quand maman vient de nous lire une belle histoire et nous a quittés d’un « bonne nuit mes amours » ?
Violette Vaïsse a réussi un livre qui tire une partie de sa puissance évocatrice de son caractère autobiographique, tout à la fois un album, une BD et un roman graphique qu’on peut lire à tous les âges, car il s’offre à tous les niveaux de compréhension.
Une lecture sans les images ne lui rendrait pas l’hommage nécessaire et je m’en abstiendrai donc pour une fois. Mais si vous ne savez pas quoi offrir à Noël, allez vite acheter La tempête de Violette Vaïsse paru en 2022 aux éditions de L’Agrume : 152 pages reliées, superbement imprimées, 23,50 €.
Pour écouter cette chronique :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire