Chers auditeurs et auditrices de RCF, exceptionnellement, je ne vous propose pas ce vendredi ma chronique habituelle. Comme vous le savez peut-être, le monde de la littérature jeunesse se donne chaque année rendez-vous au salon de la littérature et de la presse jeunesse, le "SLPJ", qui tient cette année sa 39ème édition, du 29 novembre au 4 décembre à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Pour cette occasion, j’ai préféré donner la parole à Marie-Aude Murail, l’une de ses plus éminentes représentantes, autrice prolifique, dont les œuvres comme Oh, boy ! Simple Miss Charity ou les séries comme Les mésaventures d’Emilien, les enquêtes de Nils Hazard et plus récemment Sauveur & fils, ce psychologue orléanais, ont assuré le succès en France comme à l’étranger, où elle est traduite en 27 langues à ce jour. Outre de nombreuses récompenses glanées au fil de sa carrière, c’est l’ensemble de son œuvre qui lui a valu de recevoir en 2022 le prix Hans-Christian Andersen, qui est la plus haute récompense internationale décernée à un écrivain pour la jeunesse, par un jury dont 83 pays sont parties prenantes.
Mardi, Marie-Aude Murail était rédactrice en chef du journal Libération pour le numéro spécial que celui-ci concocte chaque année à l’occasion de l’ouverture du salon ce mercredi… Bonjour Marie-Aude !
Bonjour Pierre-Michel, bonjour aux auditeurs et aux auditrices de RCF
Comment as-tu vécu mardi cette rencontre entre la littérature jeunesse et la presse quotidienne, entre la fiction et l’actualité ?
Nous étions 36 autour d’une table et le mot qui est revenu le plus souvent entre nous, c’était « intimidé e ». Donc c’est vrai que quand le rédacteur en chef nous a proposé les sujets du jour : les otages du Hamas, le raid de l’ultra-droite sur la ville de Romans-sur-Isère, le porno en deepfake dans les cours de récré, le procès de Monique Olivier… on s’est regardés en se demandant qui allait se dévouer parce que ce n’est pas a priori des sujets qu’on traite en littérature pour la jeunesse. Encore que… on ait l’habitude de parler de tout ! Et donc le challenge a été de garder notre spécificité d’écrivains et illustrateurs pour la jeunesse, tout en traitant de ces sujets-là, et donc en gardant notre humour, notre humanisme… et une petite lueur d’espoir, s’il vous plaît !
Après avoir écrit la 7ème saison de Sauveur & fils avec ta fille, Constance Robert-Murail, je sais que tu as un nouveau livre en cours ? Peux-tu en dire un mot au micro de RCF Loiret ?
Alors là, ça va être le scoop ! Bon, alors, ça devrait s’appeler - ça devrait parce que tout ça est encore fragile - ça devrait s’appeler Francoeur, et ça va parler d’une fratrie d’artistes au XIXe siècle, dans ce qu’on appelait « la vie de bohème », tous ces jeunes qui arrivaient de province et qui voulaient réussir, comme écrivain, comme peintre, comme poète, etc. Ils sont quatre, comme nous étions quatre, les Murail. Il y a une grande sœur, qui s’appelle Anna, qui va prendre le pseudo de « Francoeur » ; elle, elle est inspirée par George Sand ; viennent ensuite des jumeaux, Isidore et Marceau ; Isidore, lui, s’appuie sur un autre personnage, féminin, du XIXe, c’est une peintre, Rosa Bonheur ; Marceau, lui, va représenter tous les poètes maudits – vous pouvez faire la liste dans votre tête – et puis la petite dernière, Olympia, sera inspirée par Sarah Bernhardt.
Pourquoi crois-tu que ce récit de quatre vocations d’artistes au XIXe siècle pourrait intéresser des adolescents d’aujourd’hui ?
Parce qu’ils écrivent, parce qu’ils rêvent, parce qu’ils ont envie de créer et qu’ils ont peut-être besoin de savoir que d’autres avant eux ont osé. Le sous-titre de Francoeur sera peut-être – voilà encore un scoop – « Lettres à une jeune romancière », comme il y a eu les « Lettres à un jeune poète » [Rilke]. C’est un roman sous forme épistolaire et c’est une jeune fille qui s’adresse à Francoeur pour lui dire qu’elle a, elle aussi, envie d’écrire ; et elle veut percer tous les secrets de « comment vous y êtes arrivée ? » et « d’où est-ce que vous venez ? ». Ce sont des questions qu’on me pose régulièrement. Oui, je crois que cela intéresse les enfants même et les ados, les adultes : « pourquoi vous êtes devenue écrivain ? Est-ce que vous écriviez quand vous étiez petite ? Est-ce que vous étiez bonne en rédaction à l’école », toutes ces questions reviennent très souvent. Ce sera une manière d’y répondre et puis ce sera aussi – comme je l’aurai écrit avec Constance – une manière de dialoguer avec cette jeune génération qui a tellement envie qu’on l’entende.
Dans ton article de Libération d’ailleurs, tu cites ta rencontre avec cette petite fille qui t’avait demandé « comment devient-on ‘écrivain célèbre’ ? »
Oui, un peu naïve, mais c’était une petite fille du CE2 et elle, elle voulait devenir « écrivain célèbre » et moi j’ai dû lui répondre que « non, ce n’était pas exactement comme ça que c’était vendu » et je lui ai un peu parlé des difficultés de ce métier, je ne les cache jamais à ceux qui ont cette vocation en eux, ce désir en eux. On n’écrit pas parce qu’on a envie de passer à la télé, on n’écrit pas pour se mettre plein de fric sur son compte en banque, on n’écrit pas pour avoir une bonne retraite, on écrit parce qu’on a des choses en soi et qu’on veut les donner aux autres.
En 2021, la lecture a été décrétée Grande cause nationale par le gouvernement. Les baromètres de la lecture des jeunes semblent tous virer au mauvais temps. Tu as écrit en 2016 Zapland, une dystopie qui met en scène Tanee, une fillette de 8 ans qui ne sait pas encore lire et dont les parents ne sont même pas inquiets. Que se passe-t-il selon toi ? Le monde de demain va-t-il ressembler à Zapland, un monde sans livres, voire sans lecteurs ? Et que faut-il faire ?
Si je le savais… D’abord, il faut donner l’exemple soi-même. Quand les parents viennent me dire « Comment faire pour que mon enfant lise ? », évidemment, je leur demande : « est-ce que vous lisez ? » et surtout « est-ce que vous êtes des lecteurs et lectrices heureux et heureuses ? ». Moi, c’est ça, ma première démarche, quand je vais dans les écoles, les médiathèques, je suis une lectrice heureuse, je suis le témoin de quelqu’un qui vit à travers les livres, qui a besoin de la lecture pour se construire et se constituer, parce que je continue de me construire grâce aux livres, je continue d’apprendre grâce aux livres. « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux » disait Jules Renard. C’est de ça qu’il faut témoigner. Partout. Il faut faire envie, en fait. Faites-vous envie ? Il paraît qu’il faut avoir des gueules de ressuscités pour donner envie d’être chrétien, eh bien voilà, ayez des gueules de lecteurs et de lectrices qui sont heureux.
Merci Marie-Aude Murail !
Merci à vous de m’avoir écoutée !
Pour écouter l'interview de Marie-Aude Murail :
Super entretien !
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