Le roman existentialiste et transmanche de la génération Y
A force de loger des intervalles de sa vie dans des Eurostars,
il était fatal qu’elle y commençât un jour un de ses romans pour emmener ses
lecteurices outre-Manche : c’est chose faite. Après Comme des images, où elle soldait ses comptes d’adolescente avec un
grand lycée parisien, après Les petites reines qui faisaient pédaler trois boudins et un soleil dans la campagne
française, après Songe à la douceur
qui nous introduisit aux amours étudiantes différées, voici Brexit Romance. Clémentine Beauvais, qui
monte en gamme et en volume, nous fait traverser le Channel et nous livre à la
jeunesse cosmopolite de Londres, celle des presque trentenaires – ça va si vite
- qui se débat dans ses charmes contrastés – je parle des charmes de la
capitale britannique – non sans un petit détour très piquant par l’aristocratie
locale la plus réactionnaire.
Nous sommes en juillet 2017, un an après le vote en faveur
du Brexit qui a plongé dans l’affliction toute cette génération, née sans
frontières et livrée toute numérisée dans ses langes. A la perspective de
perdre leur passeport européen, les jeunes Angliches s’affolent et dans cet
affolement, Justine Dodgson, angliche elle aussi, glisse opportunément Mariage Pluvieux, la start
up qui doit calmer tout le monde : soit une application qui, en quelques
clics, permettra aux insulaires de se marier avec des continentaux - ou tales – du moins ceux ou celles décidé·e·s
à sortir avec leur parapluie et venir les rejoindre pour consommer un mariage
blanc et cinq années de cohabitation tout aussi continente. Un certain nombre sont déjà sur
place, ce qui devrait faciliter le matching,
je veux dire : les rapprochements pertinents.
Si j’étais une blogueuse, je dirais que ce roman est un « bonbon
fondant » (plutôt acidulé) ou une « perle précieuse » (trop
grosse pour être tout à fait lisse). Si j’étais critique à Télérama, j’écrirais
« jubilatoire », avec trois points d’exclamation. Dégusté pendant un
aller-retour en autocar dont les quatre heures ne m’ont jamais paru aussi
courtes, je fus une publicité vivante pour les éditions Sarbacane,
régulièrement secoué d’un rire inextinguible. Car ce roman est certes fondant
et précieux, même pour un quidam comme moi au stade de la jubilación (
« retraite » en espagnol) mais il est aussi et surtout hautement
comique.
Clémentine Beauvais y a encore densifié sa plume et prend
son lecteur au collet pour ne plus le lâcher. Plutôt que d’écrire un précis de
sociologie comparée anglo-française, ce
dont elle eût été tout à fait capable, elle distille mille anecdotes
soigneusement serties dans son récit, qui nous font saisir comme de l’intérieur
la vie quotidienne au temps du Brexit, de WhatsApp et d’Instagram. Et donc, je
l’ai déjà dit, font exploser périodiquement de rire son lecteur, au point que
je me suis pris à conserver un léger sourire, ma lecture durant, pour éviter un
claquage des zygomatiques.
La question pourtant très sérieuse du mariage et de l’amour
est, on l’a compris, au cœur de cette intrigue politico-romanesque. Ce n’est
pas pour rien que Jane Austen est citée en exergue, aux côtés de Theresa May. Avec
ce double patronage, ça ne rigole pas. D’ailleurs Brexit Romance, sous ses airs subtilement loufoques, est, une fois
admis le fait que l’existence précède l’essence, un traité essentiel de la rencontre amoureuse à l’ère des réseaux sociaux, de
la messagerie instantanée et du CDD – pardon pour ce sigle galliciste
totalement déplacé. Non, en fait, je
voulais dire que c’est une comédie virevoltante, énervée, éblouissante, où des
Français « défaitistes » et néanmoins « conflictuels », à l’exemple
de Pierre Kamenev, lecteur de l’Huma et pianiste blessé, mentor de Marguerite, croisent
des Anglaises auxquelles la dite Marguerite, la soprano colorature de 17 ans, finira pas s’identifier, jusqu’à
devenir, dans son expression, « absolument indirecte et totalement peu
claire, et pourtant d’une grande précision dans son vague absolu », en
bref, « tout à fait britannique », ainsi que la félicitera sa
professeure à son retour à Grenoble.
Le livre de Clémentine Beauvais est un feu d’artifices de
références culturelles et de jeu comparatif sur les langues anglaise et française,
qui passeront au-dessus de la tête de beaucoup d’adolescents, mal armés par les
fables de La Fontaine que vient de distribuer M. Blanquer en cette rentrée.
D’ailleurs ce livre – je parle de Brexit
Romance - leur est-il destiné, pour que j’y aie pris tant de plaisir, moi
un vieux croûton ? Quand je parlais en introduction de « montée en
gamme », j’entendais qu’à mon sens Clémentine Beauvais avait écrit LE roman
existentialiste de sa génération. Mais d’un existentialisme qui aurait appris à
rire. J’y ai même retrouvé des traces du bookclub que Constance, ma propre
fille, vient de lancer à Paris et même une des autrices qu’elle fit lire naguère
à ses ami·e·s et que je dois à chaque fois qwanter pour pouvoir orthographier
correctement son nom… voilà, c’est ça, hop, copié/collé : la nigériane Chimamanda
Ngozi Adichie.
Je gage que Brexit
Romance va se faire rapidement une place de choix parmi cette génération Y.
Le bleu pastel de sa couverture m’a irrésistiblement évoqué, je ne sais
pourquoi, mon dernier high tea chez
Fortnum and Mason à Londres. Je l’ai donc refermée avec un grand désir écœurant de
petits fours et de scones sur des plateaux à étages, arrosés d’un thé fumé fumant
bien noir.
Brexit Romance – Clémentine Beauvais – Sarbacane (449 pages, 17 €) – Sortie le 22 août.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire