En ces premières années du troisième millénaire, notre monde ne se porte pas très bien. Le réchauffement de la planète Terre, son apparente accélération et les désordres climatiques qu’il engendre inquiètent une majorité d’experts et d’hommes politiques. Et aussi de citoyen•nes. La démocratie semble menacée dans bien des pays par des partis populistes d’extrême-droite qui arrivent au pouvoir ou sont sur le point d’y parvenir, surfant sur de multiples peurs et frustrations. La mondialisation de l’économie, sa financiarisation et la croissance des inégalités ont constitué une masse de laissés-pour-compte dans les sociétés développées comme dans les pays en voie de développement ou émergents. Internet et les réseaux sociaux ont imposé en quelques années des modes d’échange et de rapport au virtuel qui plongent bon nombre de nos contemporains dans une seconde vie, au prix d’une relation fusionnelle et addictive avec écrans, tablettes et smartphones Combien de temps ceux-là auront-ils encore une vraie vie ?
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’idée d’une fin du monde prochaine prospère et se répande, comme si tous les phénomènes que je viens de citer en étaient des signes avant-coureurs et convergents, vers une catastrophe généralisée. Comme si la question n’était plus de savoir si notre bonne vieille planète allait craquer, mais quand. Et les uns et les autres de lancer des durées ou des dates. « Dans 12 ans ». « En 2050 », etc.
Le romancier Jérôme Leroy s’est emparé à son tour de cette thématique apocalyptique et il vient de livrer le premier opus d’une trilogie intitulée Lou après tout. Le sous-titre de ce premier tome est éloquent : « le grand effondrement ». Lui aussi fixe une date pour la Grande Panne : le 13 juin 2040 et même une heure : 21 h 47. A noter sur nos agendas.
Son roman débute quelques années après, dans le Nord de la France. Un trentenaire, Guillaume, et une adolescente de 13 ans, Lou, ont survécu ensemble au chaos qui a suivi le crash mondial de la civilisation. Progressant dans un paysage hivernal, ils viennent de trouver un refuge provisoire dans la Villa Yourcenar, qui a accueilli dans le passé nombre d’écrivains en résidence et leur offre quelques ressources, miraculeusement échappées au pillage. C’est Guillaume qui raconte leur errance dans le pays livré à des hordes de Cybs et de Bougeurs, deux catégories d’humains hautement contagieux et définitivement transformés en prédateurs par l’abus d’antidépresseurs ou de réalité augmentée. Des sortes de zombies revus et corrigés par l’auteur.
Pour Guillaume, il ne le sait pas encore, cette Villa va être son terminus. Lou, l’orpheline qu’il a recueillie quelques années auparavant, est désormais une adolescente aguerrie, une vraie combattante, prête à tomber amoureuse de celui qui n’a été jusqu’ici qu’un grand frère ou un père de substitution.
L’essentiel de cette première partie est une longue analepse au cours de laquelle Guillaume raconte le monde d’avant et ce qui l’a conduit à la catastrophe décrite dans le final. Peu à peu, une société d’apartheid social, puissamment policière, s’était créée. Une séparation physique avait fini par être décrétée avec ceux du Dehors, les résistants, zadistes du futur, ceux-là qui, par un revers prévisible de l’Histoire, vont s’avérer être les mieux à même de survivre à l’effondrement.
Lou après tout est un grand roman d’anticipation. Un roman noir au sein duquel, assez curieusement, subsiste une forme d’espoir, incarnée par les figures de Guillaume et surtout de Lou, et de quelques compagnes et compagnons de leur vie d’avant puis de leur itinérance, dont on devine que le sacrifice n’aura pas été vain.
Ce premier volet boucle suffisamment son récit pour que le lecteur en accepte la suspension. « Après tout », Lou, notre héroïne, est toujours là, guerrière bien vivante. En attendant la suite, on peut déjà imaginer les épreuves qu'elle va devoir affronter, dans l’enfer blanc où elle s’enfonce, désormais seule.
Écouter cette chronique (extrait lu à 3:54) :
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Lou après tout – I. Le grand effondrement - Jérôme Leroy – Syros (381 pages, 16,95 €)
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